Louise Turcot l’affirme fort, sans fausses politesses, sans gants blancs : elle voudrait voir plus de personnes âgées à la télévision et au cinéma. Pas des « vieux » de 50 ans. Des personnes de son âge, 78 ans. Pourtant bien présentes dans la société. Mais absentes de nos écrans.
« On regardait les séries, cette année, mon chum [Gilles Renaud] et moi », raconte l’actrice en entrevue avec Showbizz.net. « Et on s’est lancé un défi. On regardait les bandes-annonces, les histoires, et on se demandait s’il y avait des vieux dans ce film ou cette émission. Souvent, s’il y en a, ils ont 50 ans; pas comme moi, 78 ans. 50 ans, pour moi, c’est un jeune homme, une jeune femme! »
« Souvent, on regarde des trucs qui se passent dans un village… et il n’y a pas de vieux, dans ce village-là. As-tu déjà vu un village où il n’y a pas de vieux? C’est pourtant là qu’ils sont, les vieux, dans les villages! On voit des scènes au garage, au dépanneur, et il n’y a aucun vieux! Ils s’en sont tous débarrassés, ou quoi? »
Louise Turcot ne craint pas le mot : vieux. On plaide pour la diversité à la caméra : sexuelle, culturelle, corporelle; faudra ajouter diversité d’âge à la liste, souligne celle qui vient d’offrir une prestation troublante – avec des scènes parfois insoutenables à regarder – dans la série Doute raisonnable, à ICI Télé, dans la peau de Pierrette Granger, une femme agressée qui refusait de collaborer avec les enquêteurs.
« C’est ce que Gilles dit : tout ce qu’il manque, c’est des vieux. Il va falloir se lever et dire : coudonc, nous avez-vous oubliés, les vieux acteurs? Ça fait des années qu’on est là! Moi, je suis sortie du Conservatoire à 20 ans, j’ai commencé à 20 ans. J’ai aujourd’hui 78 ans. Et je n’ai jamais arrêté de travailler! J’ai toujours été là, et je veux être encore un petit peu là. Je ne réclame pas des rôles gigantesques, mais un bon rôle comme celui de "Doute raisonnable", ça se prend bien! J’en prendrais un autre la semaine prochaine! »
Les créateurs ont-ils assez d’imagination lorsque vient le temps d’intégrer des gens du troisième âge à leurs histoires?, suggère-t-on du bout des lèvres. La réponse de Louise Turcot, elle, fuse avec aplomb.
« Non! (rires) Je peux le dire tout de suite, c’est non. Mais il ne faut pas leur en vouloir de ça. Il n’y a pas une personne unique responsable de ça. C’est un phénomène qui se passe aussi dans la société. Rien n’est si différent de ce qui se passe dans la société. Dans la société, on voit que les personnes âgées sont "parquées" dans des résidences. Elles sont âgées, elles ne sont pas vraiment intéressantes. Il peut leur arriver toutes sortes d’affaires, et on n’en parlera pas tant que ça. Quand on discute, on est frappés par l’âgisme, et ça existe. Alors, le créateur, lui, ne va pas se lever un matin et inventer un autre monde... »
Des rôles audacieux? Amenez-en!
Or, s’il y a des auteurs et des réalisateurs prêts à « inventer un autre monde », sachez que Louise Turcot est prête à en donner. Celle qui osait dans Deux femmes en or en 1970, et qu’on retrouvera cette année dans les films Le temps d’un été, de Louise Archambault, Testament, de Denys Arcand, et Notre-Dame de Moncton, de Denise Bouchard, rêve encore de rôles audacieux.
« J’aime ça, et au théâtre aussi, j’aimais sortir de l’ordinaire, faire des choses qui nous emmènent ailleurs. En création, il n’y a rien de plus beau que d’aller ailleurs et plus loin! Moi, je ne suis pas une fille qui aime rester bien tranquille (rires). Je suis une fille qui aime la vie, qui aime vivre toutes sortes d’expériences. »
Doute raisonnable en fut toute une expérience, d’ailleurs. « Une occasion fantastique de vivre quelque chose d’assez difficile. En vieillissant, on devient de plus en plus fragile et vulnérable », indique la dame. « Même se regarder, c’est difficile. Ce n’est pas drôle, vieillir et l’avoir en pleine face! C’est là que tu comptes sur le peu de talent que tu as. Faut que tu aies du talent, sans ça, c’est insupportable. Il faut s’apercevoir qu’il y a une actrice qui est là, et qui fait une bonne job. »
Malgré sa longue feuille de route, même si bien des artistes de sa trempe le refusent, Louise Turcot accepte encore de se soumettre au jeu des auditions lorsque nécessaire, consciente que la roue du temps ne cesse de tourner.
« Il y a de jeunes réalisateurs qui ne me connaissent pas. Il y en a de plus en plus. Ils ne savent pas, eux, qu’on a joué dans 100 pièces de théâtre! Moi, ça ne me fait rien. Si on m’appelle pour que je passe une audition, je la passe. J’ai toujours aimé ça. C’est un défi, de réussir à convaincre un réalisateur qu’on va faire la job pour son rôle, qu’on sera sur la même longueur d’onde que lui. »
Cette relève qui pousse en culture, Louise Turcot en est folle d’admiration. Son Gilles Renaud et elle se font des listes d’oeuvres à visionner, de réalisateurs, de scénaristes, d’acteurs à féliciter, et chicanent gentiment leurs enfants devenus grands (son « bébé » aura 40 ans cette année) et férus de télé américaine de n’avoir pas regardé Chouchou, Nous ou La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.
« Je les trouve tellement talentueux et débrouillards! Ils nous donnent le goût de nous dépasser. Il y a tellement de talent au niveau création, au Québec, et pas juste chez les réalisateurs. Les directeurs photo, les accessoiristes, les décorateurs… Ça bouge! J’essaie d’imaginer un jour où on aurait plus de budget et qu’on pourrait créer encore davantage. Parce que, là, on fait une très, très bonne job, avec pas beaucoup d’argent. Avec nos budgets, à côté des séries qu’on regarde sur Netflix, je m’excuse, mais c’est un miracle qu’on réussisse à faire de si belles œuvres! Ça veut dire qu’il y a beaucoup de talent au Québec! »
Des moments pénibles
Louise Turcot, on l’aura compris, est toujours pleine de vitalité. « Ce n’est pas tellement que je suis en forme, c’est que j’ai beaucoup d’appétit de vivre... » Même si la douleur de voir des amis du métier partir, des Jean Lapointe, des André Brassard, des Jean-Claude Lord, des Pierre Marcotte, et combien d’autres, pince toujours un peu plus avec les années. « Il ne nous en reste plus beaucoup. Il s’est créé un vide. Ce sont nous, les vieux, maintenant... »
Les périodes de confinement liées à la pandémie ont été, pour Louise Turcot et son conjoint, « pénibles », soutient-elle. Elle n’a pas eu la COVID, mais son mari, oui. Tous deux redoublent encore de prudence, en conservant de cet épisode le goût amer d’un environnement à jamais transformé, et pas pour le mieux.
« Ça nous a marqués, et ça va rester dans notre monde. On ne s’en débarrassera pas, de ce virus-là. Si ce n’est pas celui-là, ça va être un autre. On entre dans une ère qui est pas mal universelle. Ça va être dans tous les pays, et il y a des scientifiques qui disent que le masque est là pour rester. »