Michel Tremblay célébrait ses 80 ans le 25 juin dernier et il n’était pas question, pour les nombreux artistes ayant joué son œuvre colossale à travers les ans, et les autres, ceux qui ne faisaient jusque-là qu’en rêver, de passer ce significatif anniversaire sous silence.
En guise de cadeau, tant au prolifique dramaturge qu’au public, Productions Déferlantes et Télé-Québec nous offrent ce samedi l’émission spéciale Michel Tremblay en quatre-vingts temps, un magnifique survol du répertoire du créateur des Belles-Soeurs, qui prend ici vie à travers les voix d’Émilie Bibeau, Benoît McGinnis, Laurent Paquin, Guillaume Cyr, Tommy Joubert, Éveline Gélinas, Marilyn Castonguay, Gilles Renaud, Hubert Proulx, Céline Bonnier, Léanne Labrèche-Dor, Ève Landry, Kathleen Fortin, Émilie Ouellet et Charlie Monty, et les accords d’Ariane Moffatt et Brigitte Boisjoli en prestation musicale.
Du lot, certains, comme Guillaume Cyr, Ève Landry et Céline Bonnier, n’avaient jamais joué les mots de Tremblay, pour des raisons d’horaires ou d’autres circonstances de la vie; d’autres sont des irréductibles depuis très longtemps, qu’on pense à Gilles Renaud, Benoît McGinnis ou Kathleen Fortin. Quant à Laurent Paquin, les années nous auront peut-être fait oublier qu’il endossait en 2017 le costume de la Duchesse de Langeais dans la relecture de Demain matin, Montréal m’attend, au Théâtre du Nouveau Monde (TNM).
« J’ai été très bouleversé. La première fois que je l’ai regardé, j’ai beaucoup pleuré », confie Michel Tremblay en entrevue téléphonique avec Showbizz.net, depuis Key West, en Floride, où il se repose chaque hiver.
« C’est extraordinaire, quand on est un auteur de théâtre et qu’on voit différents acteurs jouer nos pièces. Tout ce qu’on voit, tout ce qu’on entend, est différent. Tout est changé, excepté ce qu’on a écrit. L’interprétation de certains des acteurs, dans cette heure-là, est complètement nouvelle. Alors, pour moi, d’entendre mes textes dits d’une autre façon, c’est un fabuleux cadeau. C’est évident que les jeunes générations ne jouent pas ces textes comme Denise Filiatrault ou Denise Pelletier, à l’époque, il y a 50 ans. La sensibilité et l’intelligence sont différentes. »
Dans Michel Tremblay en quatre-vingts temps, ces acteurs et actrices, fervent.es du legs du jubilaire, incarnent des monologues de l’un des multiples personnages choisis dans son vaste catalogue, dont on peine à mesurer l’ampleur, comptant 41 pièces de théâtre (traduites en plus de 40 langues), 39 romans et récits autobiographiques, quatre films (dont C’t’à ton tour, Laura Cadieux, de Denise Filiatrault, et Parlez-nous d’amour, de Jean-Claude Lord), un téléroman (Le coeur découvert), deux comédies musicales, un opéra et plusieurs chansons, ainsi que l’énumère à la caméra René-Richard Cyr (lui-même important porte-étendard de l’univers de Tremblay, qui a adapté plusieurs de ses histoires en comédie musicale, dont Les belles-sœurs), réalisateur du théâtre-variété.
Le collage ratisse large au niveau des textes (sélectionnés par René-Richard Cyr et Serge Boucher) : on renoue ici autant avec Albertine en cinq temps et Sainte Carmen de la Main, qu’En pièces détachées, Fragments de mensonges inutiles, Hosanna et Bonjour, Là, Bonjour. Les extraits se répondent et retracent l’arbre généalogique des protagonistes marquants des fresques de Michel Tremblay.
Et nul besoin d’écouter longtemps cette splendide rétrospective pour constater à quel point le petit garçon d’autrefois qui épiait, caché sous la table, les conversations de sa mère avec les autres membres de sa famille, devenu pilier de la culture québécoise à tout juste 23 ans, en 1965, grâce à une pièce appelée Les belles-sœurs, qui allait bouleverser le paysage littéraire et social du Québec, fut un précurseur, lui qui a composé des personnages d’ouvriers, de waitress, de filles de club, d’homosexuels, de lesbiennes, de travestis, comme le rappelle René-Richard Cyr, bien avant les mouvements d’évolution sociale qu’on connaît aujourd’hui. Les écrits de Michel Tremblay, âme plus sensible que sensible, qui donnent parole et dignité aux sans-voix et aux laissés-pour-compte de notre monde, ont toujours bouleversé, choqué et ému, et continuent de le faire encore en 2023. L’image finale de Michel Tremblay en quatre-vingts temps, qui réunit tous les visages de ce doux coup de chapeau autour de leur mentor, l’observant rédiger, assis à son bureau, est particulièrement évocatrice à cet égard.
D’ailleurs, Michel Tremblay se réjouit que ses créations continuent d’être reprises sur les scènes un peu partout au Québec. Entre autres, sa pièce Le vrai monde?, qu’a remontée le Théâtre du Rideau Vert en 2021, avec Michel Charette et François Chénier, entre autres, est toujours présentée en tournée.
Michel Tremblay éclate de rire lorsqu’on lui demande, à huit décennies derrière la cravate et une soixantaine à nous délecter de son verbe si affectueusement familier, s’il est tanné des hommages, lui qui en a reçu plusieurs au gré de son imposante carrière.
« On ne se tanne jamais! (rires) Parce que ça vient souvent de gens différents, qui ont toutes sortes de façons de nous aimer et de nous apprécier. Et, puisque je n’atteindrai probablement pas 90 ans, je profite de mes 80! »
Le théâtre-variété Michel Tremblay en quatre-vingts temps est présenté ce samedi 4 mars, à 21 h, à Télé-Québec. En rediffusion le dimanche 5 mars, à 20 h, et le vendredi 10 mars, à 22 h. L’émission spéciale sera aussi transmise en simultané et en rattrapage au telequebec.tv.